Plan après les reconnaissances...
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Plan après les reconnaissances...

Il ne fait aucun doute que le moment actuel porte des implications stratégiques profondes dans le cours de la question palestinienne. Après plus de soixante-dix ans de conflit, accompagné d'un retard et d'une hésitation occidentale à reconnaître le droit palestinien, nous sommes aujourd'hui témoins d'une transformation qualitative qui se manifeste par l'adhésion de pays européens importants - à commencer par la France, suivie de la Belgique, du Luxembourg, de Malte et de Saint-Marin - à la vague de reconnaissance de l'État de Palestine, après des démarches similaires de la part du Royaume-Uni, du Canada, de l'Australie et du Portugal. Ces développements ne sont pas simplement un gain symbolique, mais un reflet du changement dans l'équilibre des humeurs internationales, et de l'incapacité d'Israël à imposer son récit à tous.

Les reconnaissances successives ne modifient pas immédiatement la réalité de l'occupation sur le terrain, mais elles ajoutent un capital stratégique qui sera difficile à surmonter à l'avenir. Elles replacent la question palestinienne au cœur de l'agenda international et mettent le monde devant un choix clair : soit soutenir le droit à l'autodétermination, soit consacrer la logique de la force, de l'annexion et de la colonisation. Ici réside la grande responsabilité palestinienne : comment tirer le meilleur parti de ce moment ?

Premièrement : du simple réaction à l'initiative

Par le passé, la diplomatie palestinienne s'est contentée de saluer et de louer lors de circonstances similaires. Cependant, la phase actuelle nécessite un tournant qualitatif, passant du statut de réacteur à celui d'initiateur. Il est nécessaire d'adopter une vision diplomatique proactive, fondée sur un plan réfléchi pour transformer les reconnaissances en gains concrets : élever le niveau de représentation diplomatique, signer des accords bilatéraux, intégrer la Palestine dans des partenariats économiques et culturels, et renforcer sa présence dans les institutions internationales. Ces étapes n'apportent pas seulement une légitimité supplémentaire aux Palestiniens, mais rendent également la reconnaissance institutionnelle, rendant difficile tout retour en arrière.

Deuxièmement : Construire un axe européen de soutien

Le leadership français dans cette vague ouvre la voie à l'institutionnalisation d'un bloc européen pressant au sein de l'Union européenne. La diplomatie palestinienne doit agir intelligemment pour tirer profit de cette dynamique, et la pousser vers des décisions européennes collectives : boycotter les produits des colonies, restreindre le soutien aux projets liés à l'occupation, et renforcer la position européenne au sein des Nations unies et des institutions internationales. Le succès de cette approche pourrait créer un véritable équilibre face à l'inquiétude américaine traditionnelle en faveur d'Israël.

Troisièmement : Activer la dimension juridique internationale

Les reconnaissances n'octroient pas une nouvelle légitimité à la Palestine, mais rappellent une légitimité déjà établie par le droit international. Par conséquent, la voie la plus efficace consiste à transférer ces reconnaissances dans le domaine du droit international : la Cour internationale de justice, la Cour pénale internationale, et les conventions internationales. Chaque reconnaissance supplémentaire renforce l'argument palestinien pour poursuivre les crimes d'occupation en matière de colonisation, d'annexion et de déplacement. Plus encore, la diplomatie palestinienne peut élaborer une stratégie juridique globale rendant l'occupation coûteuse politiquement et économiquement pour Israël.

Quatrièmement : Gérer la contradiction américaine

La position américaine sur les récentes reconnaissances a été marquée par un désagrément public et des accusations de "spectacle", mais elle reflète en profondeur une inquiétude face à la perte de contrôle sur ses alliés occidentaux. C'est ici que réside une opportunité à saisir : s'ouvrir à des cercles américains non officiels - le Congrès, des think tanks, les médias - pour établir de nouveaux espaces de discussion autour de la solution à deux États. L'objectif n'est pas une confrontation directe avec Washington, mais de tirer parti des fissures dans son discours pour imposer la question palestinienne comme une priorité incontournable.

Cinquièmement : Activer la dimension arabe et islamique

Les transformations européennes imposent à la diplomatie palestinienne un devoir double : renforcer la position arabe et islamique pour qu'elle soit un soutien et une pression dans les forums internationaux. Le prochain sommet américano-arabe-islamique représente une chance de formuler une position unifiée qui rejette toute alternative à la solution à deux États, et demande un soutien matériel et politique réel pour la résilience des Palestiniens. La combinaison entre légitimité internationale et soutien arabe et islamique constitue une nouvelle équation de force face aux politiques israéliennes.

Sixièmement : Formuler un nouveau discours politique

La reconnaissance de l'État palestinien n'aura pas de sens si le citoyen palestinien reste englué dans le blocus, l'occupation et la colonisation. Il est donc impératif de formuler un nouveau discours politique à double sens : un discours adressé au monde en utilisant le langage du droit international et des droits de l'homme, et un discours destiné à notre peuple dans le langage de la dignité, de l'espoir et de l'autonomisation. Ce lien entre la dimension internationale et la dimension populaire est ce qui confère à la diplomatie palestinienne sa profondeur et sa crédibilité.

Septièmement : Affronter la réponse israélienne avec sagesse

Il ne fait aucun doute qu'Israël s'engagera dans des mesures de représailles, qui pourraient débuter par des actions diplomatiques symboliques telles que la fermeture des consulats, allant jusqu'à des scénarios plus graves comme l'annexion partielle ou totale. À cet égard, la diplomatie palestinienne doit agir sur deux niveaux : mobiliser la communauté internationale contre toute mesure unilatérale, et proposer des initiatives politiques qui montrent du côté palestinien une force de construction et non de désorganisation. Gérer cette confrontation nécessite un mélange de fermeté et de sagesse, afin d'éviter à Israël l'opportunité de traîner le monde dans le carré de "pas de partenaire palestinien".

Ce qui se passe aujourd'hui n'est pas un simple changement passager dans les positions de certaines capitales occidentales, mais un repositionnement stratégique qui redonne de l'importance à la question palestinienne. Toutefois, cela représente également un défi difficile : soit la diplomatie palestinienne réussit à tirer parti de cette opportunité à travers des plans intelligents, des partenariats efficaces et des démarches légales rigoureuses, soit elle se perd comme les opportunités passées.

Les reconnaissances ne sont pas la fin du chemin, mais son commencement. C'est un moment historique que l'on ne mesure pas par des déclarations de soutien, mais par ce qui en résultera comme changement réel dans la vie des gens et l'avenir de l'État. Et l'histoire, comme nous le savons, ne pardonne pas aux peuples qui échouent à gérer leurs moments cruciaux.

Cet article exprime l'opinion de son auteur et ne reflète pas nécessairement l'opinion de l'Agence de Presse Sada.