Lorsque les travailleurs sont retirés de l'équation... comment l'économie s'étrangle ?
Les travailleurs palestiniens n'ont jamais été simplement une catégorie sociale à la recherche d'opportunités d'emploi, mais ils ont constitué au cours des dernières années l'un des piliers non déclarés de l'économie palestinienne. Leur présence sur le marché du travail à l'intérieur de la ligne verte et des colonies n'était pas seulement une question d'emploi, mais un élément crucial dans l'équation de la liquidité, de la demande globale et de la stabilité des marchés. Ainsi, ce que nous vivons aujourd'hui ne peut pas être qualifié de « crise des travailleurs » au sens traditionnel, mais plutôt comme un déséquilibre structurel qui a frappé le cœur du modèle économique en place.
Avant la guerre, le nombre de travailleurs palestiniens employé à l'intérieur de la ligne verte et dans les colonies variait entre 180 000 et 200 000 travailleurs. Ceux-ci n'étaient pas seulement une source de revenu pour leurs familles, mais un canal financier actif qui injectait quotidiennement des liquidités dans les veines de l'économie locale. Le salaire moyen d'un travailleur variait entre 6 000 et 8 000 shekels, ce qui signifie que le revenu total mensuel injecté dans l'économie palestinienne provenant de cette seule source s'élevait à environ 1,2 à 1,5 milliard de shekels, soit près de 14 à 18 milliards de shekels par an dans des conditions normales.
Ces chiffres ne reflètent pas seulement des entrées individuelles, mais représentent une masse monétaire dynamique qui était rapidement recyclée au sein du marché local. Les estimations indiquent que plus de 70 % des revenus des travailleurs étaient dépensés au sein de l'économie palestinienne, pour la nourriture, le logement, l'éducation, les transports, les services et le remboursement des prêts. Ainsi, les revenus des travailleurs se sont transformés en l'un des principaux moteurs de la demande globale, en un levier indirect pour le commerce, et en un moyen de soutien silencieux à la stabilité économique.
Avec l'interruption quasi totale du travail des travailleurs, il ne s'est pas seulement produit un choc de revenus au niveau des ménages, mais un choc de liquidité massive au niveau de l'économie dans son ensemble. La perte de plus d'un milliard de shekels par mois en flux de trésorerie s'est rapidement répercutée sur les marchés, où la consommation a reculé, la circulation monétaire a ralenti, et des signes de récession sont apparus même dans les secteurs où les travailleurs n'étaient pas directement employés. C'est ainsi que la crise est passée des foyers aux magasins, puis aux chaînes d'approvisionnement, pour atteindre le secteur financier.
Ce déclin aigu de la liquidité n'a pas seulement touché le commerce, mais s'est également étendu au secteur bancaire. Une grande partie des travailleurs étaient engagés dans des prêts à la consommation et des prêts hypothécaires, et ils remboursaient leurs obligations régulièrement grâce à des revenus fixes. Avec l'arrêt de ces revenus, les risques de défaut ont augmenté, tout comme les opérations de restructuration, mettant ainsi les banques sous une pression supplémentaire alors qu'elles souffrent déjà de contraintes de liquidité et d'une crise de trésorerie accumulée. En revanche, les recettes indirectes de l'État ont diminué, car la consommation financée par les revenus des travailleurs générait des taxes sur la valeur ajoutée et des frais locaux dont la perte est estimée aujourd'hui à des centaines de millions de shekels par an.
Le plus inquiétant dans ce tableau est que le travailleur palestinien ne s'est pas seulement transformé en chômeur, mais est devenu un fardeau économique forcé qui n'était pas pris en compte dans aucune équation. Le travailleur qui était autonome, soutenait sa famille et soulageait la pression sur l'État, s'est retrouvé soudainement hors du cycle de production, nécessitant un soutien social au moment même où l'État souffre déjà d'un déficit budgétaire chronique et d'un retard dans le paiement des salaires. Les indicateurs montrent que les taux de chômage en Cisjordanie ont dépassé 25 %, avec des taux bien plus élevés chez les jeunes, ce qui menace d'éroder la classe moyenne et d'élargir la zone de vulnérabilité sociale.
Cette crise est fondamentalement différente des précédentes. Lors des étapes antérieures, le dossier des travailleurs était géré selon une logique temporaire : des permis ouverts et fermés, des revenus fluctuants, permettant à l'économie de reprendre son souffle. Aujourd'hui, nous faisons face à une interruption à long terme, un flou politique, et une absence d'horizon clair pour un retour, ce qui signifie que l'économie a perdu l'une de ses principales sources de liquidité sans avoir d'alternatives internes capables de compenser en termes de volume ou de rapidité.
La plus grande erreur serait de continuer à traiter le dossier des travailleurs comme une simple question de subsistance ou humanitaire. Au fond, c'est un dossier économique souverain par excellence. Une économie qui dépend de sa main-d'œuvre en dehors de ses frontières, sans contrôle sur les conditions de cette dépendance, est en soi une économie fragile. Et lorsque cette force est soudainement retirée, nous ne parlons pas d'un chômage temporaire, mais d'une restructuration forcée de l'économie, la poussant vers la contraction, le gel des investissements, et la transformation de l'activité économique de la production vers la gestion de la survie.
La dépendance prolongée aux revenus des travailleurs a créé une illusion de stabilité, mais elle a masqué une fragilité profonde dans la structure de l'économie locale, qui n'a jamais développé des secteurs productifs capables d'absorber ce volume de main-d'œuvre ou de compenser cette énorme perte de liquidité. Donc, un retour à la situation antérieure, s'il devait se produire, sans révision radicale, signifierait revenir à la même boucle fragile.
En résumé, lorsque une petite économie contrainte comme l'économie palestinienne perd plus de 14 milliards de shekels par an de revenu, et supporte en parallèle des charges sociales et financières supplémentaires, nous ne faisons face pas seulement à une crise des travailleurs, mais à un déséquilibre structurel dans un modèle économique complet. La vraie question aujourd'hui n'est plus : quand les travailleurs reviendront-ils ? Mais : allons-nous continuer à bâtir notre économie sur des sources dont nous ne maîtrisons pas les décisions, ou allons-nous enfin commencer à refondre les fondations sur des politiques de production locale et de souveraineté économique réelle ?
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