Palestine : Comment briser le cercle infernal ?
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Palestine : Comment briser le cercle infernal ?

La situation palestinienne traverse l'une des périodes les plus périlleuses de son histoire récente, non seulement en raison du fascisme de l'occupation israélienne, ni à cause des divisions internes, mais aussi à cause de la rencontre de deux facteurs mortels : l'arrogance de la puissance israélienne soutenue par un biais international structurel, notamment américain, et l'incapacité palestinienne à produire une alternative politique et sociale capable de briser ce cercle infernal. L'occupation n'est pas simplement un projet de contrôle temporaire, mais s'est transformée en un système intégré de gestion des Palestiniens considérés comme un fardeau démographique à soumettre ou à éliminer, et non comme un peuple ayant des droits. En contrepartie, la structure politique palestinienne n'est plus capable de transformer la souffrance en force, ni la douleur en projet, mais s'épuise à gérer l'incapacité.

Quand la force devenait politique, et le biais devenu système

Israël ne mène pas seulement une guerre d'extermination, mais impose une vision unilatérale de l'avenir palestinien : une entité fragile, déchirée, dépouillée de souveraineté, une société gérée par la sécurité, une économie dépendante, et un horizon politique reporté à l'infini. Ce projet n'aurait pas pu se prolonger dans une telle vulgarité et un tel arrogance sans un biais international explicite ou silencieux, qui justifie les meurtres au nom de "la sécurité" et traite le droit international comme un instrument sélectif plutôt que comme une référence contraignante. Ce biais n'a pas seulement échoué à protéger les Palestiniens, mais a contribué à reproduire le conflit. Chaque fois que la responsabilité disparaît, la force s'étend. Chaque fois que la politique recule, la guerre avance. Ainsi, la Palestine entre dans un cercle infernal clos, où la violence engendre la violence.

Gaza n'est aujourd'hui pas seulement un champ de guerre, mais un miroir de l'échec du système international. Même lorsqu'un cessez-le-feu est annoncé, cela ne porte aucune signification politique ou morale réelle, si ce n'est de réduire le nombre de victimes quotidiennes pour une période limitée. Pas de reconstruction sérieuse, pas de processus politique, ou de responsabilité. Juste une gestion temporaire d'une catastrophe permanente. En ce sens, Gaza s'est transformée en laboratoire de gestion de la douleur humaine, non pour en finir avec ses causes.

L'Autorité palestinienne : l'incapacité comme politique est un fait réel

En Cisjordanie, l'Autorité palestinienne s'effrite de manière alarmante. Elle est politiquement assiégée, financièrement étouffée, et fonctionnellement contrainte. Mais ce qui est plus dangereux, c'est qu'elle perd sa base sociale. Une autorité qui ne peut garantir le minimum des salaires des gens, et se détourne de son histoire découlant de la légitimité de la résistance que dirigeait le mouvement national. En même temps, elle n'a pas de vision pour faire face à la désintégration économique et sociale, ce qui signifie qu'elle commence à perdre sa légitimité pratique, quelle que soit sa référence légale. Ici, on ne peut se contenter d'expliquer l'incapacité palestinienne par des facteurs externes ; l'absence de réforme basée sur une légitimité consensuelle, l'érosion de la légitimité de la résistance, et le report des échéances démocratiques, accompagnés par l'absence de responsabilité, sont tous des facteurs internes qui ont approfondi la crise au lieu de la contenir.

Hamas et l'Autorité : des responsabilités differentes

Il n'est pas correct d'établir une équivalence politique entre Hamas et l'Autorité palestinienne, car chacune a une position différente, une fonction différente, et une responsabilité différente. Cependant, cela n'exclut aucun d'eux de la critique explicite.

Hamas porte une lourde responsabilité en liant le destin de la bande de Gaza à des choix militaires qui ne reposent ni sur un consensus national, ni sur une évaluation adéquate du coût pour la société. La résistance, quelle que soit sa légitimité, ne confère pas un mandat ouvert pour gérer la vie de plus de deux millions de personnes sans responsabilité politique ou civile.

En revanche, l'Autorité palestinienne porte une responsabilité encore plus complexe : elle est la partie reconnue au niveau international, et réclame de représenter l'ensemble national, mais elle a choisi, en raison de son incapacité ou de calculs étroits, de gérer la crise plutôt que de l'affronter, et de préserver la survie institutionnelle plutôt que de renouveler la légitimité populaire en élaborant des outils de gouvernance capables de restaurer la confiance et de mobiliser les énergies populaires.

Le problème n'est pas l'absence de pluralité politique, mais l'absence de tout cadre national englobant qui impose la responsabilité et utilise la pluralité comme un élément de force, empêchant ainsi de monopoliser la décision cruciale.

Peut-on briser ce cercle infernal ?

Briser ce cercle infernal ne viendra pas d'initiatives internationales isolées, ni d'un pari sur un changement soudain dans le rapport de forces. Cela commence par une condition essentielle : un consensus national réaliste qui réorganise les priorités sur la base de la protection de la société. Ce consensus ne signifie pas nécessairement résoudre toutes les grandes questions d'un coup, mais parvenir à un accord sur un programme minimal : d'abord, protéger les gens face à l'extermination et au terrorisme des colons, ainsi qu'à l'effondrement économique et social ; deuxièmement, unifier le discours moral et politique devant le monde ; et troisièmement, redonner du poids au rôle de la société civile dans toutes ses composantes comme levier de la résistance nationale et de préservation du tissu social contre la désintégration. Tout cela nécessite des plateformes nationales dans des cadres communs au niveau de l'organisation et de l'autorité.

Peut-on gérer la vie indépendamment de l'occupation ?

L'expérience de la première Intifada n'est pas une légende, mais ses riches leçons montrent que gérer la vie sous occupation est relativement possible lorsque la société dispose d'une organisation, d'une direction sérieuse liée aux préoccupations nationales et aux intérêts des gens, d'un sentiment de participation et de responsabilité, et de réseaux efficaces de solidarité sociale. Cela, en plus d'une clarté sur qui est l'ennemi. L'occupation à l'époque n'était pas moins brutale, mais la confiance interne était plus élevée, et la légitimité populaire plus évidente. Aujourd'hui, le défi ne se limite pas à l'occupation, il se manifeste dans la désintégration du tissu interne. Si cette désintégration n'est pas traitée, il ne restera rien à défendre politiquement.

Comment peut-on prévenir l'effondrement ?

Prévenir l'effondrement ne commence pas de l'extérieur, ni de décisions internationales anticipées, mais de trois cercles internes interconnectés :

Premièrement : redonner de l'importance à la fonction nationale de l'Autorité

Non pas comme une autorité souveraine illusoire, mais comme un outil de protection sociale, de service public et de gestion de la capacité de résistance. Une autorité incapable de verser des salaires, et de protéger la société du chaos économique, perd sa légitimité pratiquement, quelle que soit sa référence politique.

Deuxièmement : une unité réaliste pas idéologique ; une unité construite sur un programme minimal : protéger les gens, empêcher le chaos et unifier le discours national devant le monde, ce qui constitue un levier solide pour répondre aux grandes questions. L'unité est aujourd'hui une condition de survie, pas un luxe politique.

Troisièmement : un rôle crucial des réseaux et structures de la société civile. Quand la politique échoue, la société ne s'effondre pas automatiquement. Les Palestiniens ont prouvé que si la société est mobilisée, avec une énergie latente plutôt qu'en étant marginalisée, elle pourra s'organiser et atténuer les effets de l'occupation et les conséquences de la division ensemble.

Aujourd'hui, l'occupation est plus brutale, oui. Mais ce qui nous manque ce ne sont pas seulement les circonstances, mais la confiance interne, la légitimité du leadership, et la capacité d'organisation. Gérer la vie indépendamment de l'occupation n'est pas un retrait du conflit, mais une redéfinition de celui-ci : d'un affrontement militaire inégal à une bataille de résilience, d'organisation, de survie, et un engagement effectif avec les transformations bouleversantes de l'opinion publique internationale.

Un appel au mondequi entend la douleur de la Palestine

Il n'est plus possible de considérer la tragédie palestinienne comme un "conflit chronique" sans solutions, ou comme un affrontement équilibré entre deux parties qui "échouent ensemble". Cette description n'est pas seulement trompeuse, elle est aussi moralement réconfortante, car elle soulage la puissance de ses responsabilités et dépouille le droit international de son contenu. Les politiques justifiées au nom de la stabilité ou de la sécurité, du soutien inconditionnel à Israël, du silence réfléchi face à des violations graves ou du simple fait de gérer les crises humanitaires, ne préviennent pas l'explosion, mais la retardent et la rendent plus dévastatrice. L'absence de responsabilité ne produit pas de modération, et priver un peuple entier d'horizon ne génère pas de soumission, mais des formes plus désespérées et dangereuses de conflictualité. Si l'Occident est sérieux dans la défense d'un système international basé sur des règles, des valeurs et des principes humains, alors la Palestine n'est pas une exception, mais le test le plus évident de cette crédibilité. Et continuer à traiter les résultats humanitaires sans faire face aux causes politiques ne fera que reproduire le même cercle infernal que tout le monde prétend vouloir briser.

  1. La Palestine se trouve aujourd'hui face à deux options sans tiers :

Soit un consensus national qui réintroduit la politique comme un outil de sauvetage, soit une chute progressive où la cause nationale se transforme en un dossier humanitaire sans horizon politique. L'occupation cherche à imposer cette chute par la force, et le biais international facilite la tâche par le silence. Mais l'effondrement ne deviendra un destin que si cela est accepté par les Palestiniens. L'histoire, jusqu'à présent, n'a pas dit son dernier mot.

Cet article exprime l'opinion de son auteur et ne reflète pas nécessairement l'opinion de l'Agence de Presse Sada.