Assèchement : l'ingénierie du déplacement pour vider la terre en Cisjordanie
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Assèchement : l'ingénierie du déplacement pour vider la terre en Cisjordanie

Bien que l'occupation utilise tous les moyens dans sa guerre d'expulsion continue, elle utilise une arme encore plus meurtrière dans le silence, qui est l'eau. Comme nos précédents articles l'ont révélé sur les outils de colonisation pastorale et l'étouffement économique, la machine fondamentale qui détruit les moyens de subsistance demeure le contrôle absolu des ressources en eau. La discussion sur le « vol de la terre » n'est pas complète sans dévoiler sa mécanisme hydrologique : transformer chaque goutte d'eau en outil de pression, chaque source en site colonial, et chaque part d'eau en moyen de chantage. Le contrôle israélien sur les ressources de la Cisjordanie - ancré par d'anciennes lois militaires et des accords temporaires - est utilisé comme un outil systématique de « dépouillement hydrique » ; dans le but de créer un environnement de vie impossible qui pousse progressivement les Palestiniens vers le déplacement forcé, en particulier dans les zones classées « C ».

La tragédie commence dès la maison ; alors que le colon israélien en Cisjordanie bénéficie d'environ 300 litres d'eau par jour - dont une grande partie est utilisée à des fins récréatives, pour arroser les jardins et les piscines - le Palestinien lutte pour sécuriser moins de 70 litres par personne et par jour. Ce taux est bien en dessous du minimum recommandé par l'Organisation mondiale de la santé (100 litres par personne et par jour) et frôle le seuil de la catastrophe humanitaire. Cet écart n'est pas accidentel, mais le résultat d'une ingénierie hydraulique délibérée ; bien que les aquifères en Cisjordanie constituent la seule source naturelle de la région, le contrôle israélien absolu sur ces ressources prive les Palestiniens de plus de 85 % de leur part naturelle, et selon les données de « B'Tselem » et d'organisations de droits de l'homme, ils ne reçoivent que 15 %, tandis qu'Israël exploite la quasi-totalité restante.

Les racines de ce contrôle plongent dans les profondeurs d'une histoire juridique tordue ; les ordonnances militaires israéliennes émises après l'occupation de la Cisjordanie en 1967 ont placé toutes les ressources en eau sous l'autorité du « responsable militaire des eaux ». En vertu de ces ordonnances, creuser un puits, étendre un tuyau ou même collecter l'eau de pluie dans certaines zones devient un « crime » passible de sanctions et de démolitions. L'article 40 du deuxième accord d'Oslo (1995) a donc consolidé cette réalité, en « gelant » la part d'eau palestinienne au niveau de consommation de 1995, ignorant totalement le doublement naturel de la population et le droit des Palestiniens au développement. Le résultat ? Le dossier de l'eau s'est transformé d'un droit humain fondamental en outil de pression politique, et la pénurie d'eau chronique est devenue partie intégrante de l'ingénierie de la dépendance quotidienne.

Ce dépouillement hydrique ne reste pas confiné aux chiffres et aux lois, mais se transforme en une arme directe de déplacement. "Si vous ne pouvez pas vivre de votre terre, comment pouvez-vous y rester ?" Cette question est incarnée par la réalité des agriculteurs dans la vallée du Jourdain, qui assistent à la transformation des sources historiques en "parcs coloniaux" ou en sources d'eau pour les colonies voisines. Des dizaines de sources dans des régions comme Hebron et Ramallah sont devenues des sites de séparation raciale, où l'accès est interdit aux Palestiniens tandis que les colons les utilisent pour des loisirs. La politique d'assèchement atteint son paroxysme cruel avec la destruction des réservoirs d'eau et des puits dans les zones classées « C » ; en 2023 seulement, les autorités israéliennes ont démoli plus de 120 installations hydrauliques palestiniennes, selon des rapports du Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA). Cette démolition force les familles à acheter de l'eau auprès de camions-citernes à des prix pouvant atteindre quatre fois le coût de l'eau du réseau, transformant l'eau d'un droit fondamental en un fardeau économique expulsif.

Ici se crée l'équation du déplacement silencieux : plus le coût de l'approvisionnement en eau essentielle - qui peut engloutir jusqu'à 30 % des revenus familiaux dans certaines communautés bédouines - est élevé, plus le seuil de déplacement se rapproche. Et cela explique le déclin de la population dans des dizaines de communautés pastorales dans la vallée du Jourdain ; où la colonisation pastorale repose sur ce cercle vicieux : assèchement des sources ← destruction de l’agriculture ← déplacement de la population ← expansion de la colonisation. L'eau, dans cette équation, est le premier et le dernier maillon.

En conclusion, le contrôle de l'eau en Cisjordanie n'est pas simplement une question de gestion des ressources, mais il est le cœur du projet colonial visant à vider la terre de ses habitants. La discrimination hydrique systématique constitue une forme flagrante de « punition collective » interdite par l'article 33 de la quatrième convention de Genève. Il est temps que la communauté internationale reconnaisse l'eau comme une « arme de déplacement » dans l'arsenal du colonialisme de peuplement, et transforme cette reconnaissance en une pression efficace pour mettre fin au contrôle militaire des ressources naturelles. Tout comme la récupération de la terre nécessite de la résistance, la récupération du droit à l'eau exige une résistance quotidienne qui commence par soutenir l'agriculteur sur sa terre, demander l'ouverture des sources fermées, et révéler les mécanismes d'assèchement organisés. Car l'eau est la première leçon de géographie : celui qui contrôle l'eau contrôle la vie, et celui qui revendique son droit à l'eau fonde sa souveraineté sur sa terre.

 

Cet article exprime l'opinion de son auteur et ne reflète pas nécessairement l'opinion de l'Agence de Presse Sada.