Gaza, cimetière du journalisme
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Gaza, cimetière du journalisme

Histoire ne sera bienveillante qu'avec ceux qui transmettent les nouvelles ; à Gaza, le nom d'Anis ach-Chérif, jeune journaliste de la chaîne Al Jazeera, qui a été tué le 10 août 2025, sera gravé aux côtés des noms de 223 autres journalistes assassinés par les forces israéliennes au cours des deux dernières années. L'histoire restera témoin de leurs crimes, éternellement redevable aux responsables.

Gaza est devenue le lieu le plus dangereux au monde pour la profession de journaliste. Depuis deux ans, Israël impose une interdiction d'entrée aux journalistes étrangers, laissant la responsabilité de transmettre la vérité aux journalistes palestiniens, dont la plupart sont membres du Syndicat des journalistes palestiniens affilié à la Fédération internationale des journalistes. Ces derniers travaillent dans des conditions extrêmement difficiles, sans protection personnelle, ni refuge sûr pour eux et leurs familles, et sont souvent la cible d'attaques directes.

La profession de journaliste n'a jamais connu de massacres d'une telle ampleur dans son histoire. La Fédération internationale des journalistes, fondée en 1926 et qui se prépare à célébrer son centenaire à Paris en mai 2026, n'a pas enregistré de bilan similaire, que ce soit durant la Seconde Guerre mondiale, au Vietnam, ou en Syrie ou en Irak. Aujourd'hui, Gaza est le plus grand cimetière de journalistes dans l'histoire contemporaine.

Ce n'est pas une simple série de tragédies aléatoires, mais une stratégie délibérée reposant sur l'assassinat des porteurs d'informations, le siège de Gaza, et le contrôle strict du récit ; priver la presse internationale d'accès à Gaza signifie réduire au silence tous les observateurs indépendants.

Alors que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu promet de recoloniser Gaza, le contrôle du récit devient plus dangereux que la colonisation elle-même, car la colonisation signifie effacer les décombres, cacher les morts, et faire taire les survivants et tous ceux qui ont rapporté leurs histoires.

La guerre a contraint des centaines de milliers d'habitants de Gaza à fuir du nord vers le sud, mais le sud n'était pas un refuge sûr. Le danger les entoure de tous côtés, il n'y a aucune sécurité ni issue d'évasion, et les familles se retrouvent piégées entre les bombes et la mer, incapables de s'échapper. Les journalistes font face à la même réalité dure, où les chances de survie diminuent chaque jour, rendant la mission de transmission de la vérité de plus en plus difficile et risquée.

Dans ces conditions, l'accroissement de la reconnaissance par un nombre croissant de pays de l'État de Palestine aux Nations Unies a une valeur symbolique, mais arrive beaucoup trop tard. Cela ne protège ni les vivants ni n'honore les morts, car la diplomatie est toujours à la traîne de l'histoire après la tragédie ; alors qui protège ces témoins ? Ni l'ONU dans son impuissance, ni les grandes puissances complices par leur silence et leur fourniture d'armes. Les journalistes palestiniens poursuivent leur mission seuls, jusqu'à l'épuisement... et jusqu'à la mort.

La Fédération internationale des journalistes travaille directement sur le terrain, soutenant les journalistes et leurs familles par le biais du fonds de sécurité, et relatant le quotidien de ses collègues – Sami, Ghada, et d'autres – afin que leurs souffrances ne soient pas réduites à de simples chiffres.

Elle demande depuis des années l'adoption d'un accord international aux Nations Unies imposant aux États de protéger les journalistes et de punir ceux qui les tuent. Tant qu'un tel accord n'existe pas, l'impunité perdure, accordant l'immunité aux dirigeants israéliens.

La Fédération internationale des journalistes rappelle depuis des années aux journalistes et aux travailleurs des médias détenteurs de la carte de presse internationale : « Aucun reportage n'est plus important que la vie d'un journaliste ». C'est une règle de survie, pas juste un slogan. La mission des journalistes n'est pas de mourir sur le terrain, mais de transmettre les nouvelles en toute sécurité. Leur protection est une responsabilité collective ; chaque casque, chaque gilet pare-balles, chaque formation à la sécurité est vitale.

Nombreux sont ceux qui se demandent à Gaza : « Quelle est l'utilité de continuer ? » Les preuves sont nombreuses et les témoignages s'accumulent, et pourtant rien ne change. Mais abandonner serait pire, car le silence signifie la victoire des bourreaux, leur permettant de dire qu'il ne s'est rien passé.

Anis ach-Chérif ne voulait pas mourir ; il voulait transmettre la vérité au monde, en toute sécurité. Sa mort, ainsi que celle de 222 de nos collègues, nous oblige tous à faire face à cette injustice... Israël tue des journalistes, et tuer des journalistes signifie tuer la vérité. Un monde sans vérité est un monde régi par des bourreaux sans partenaire ni gardien.

Cet article exprime l'opinion de son auteur et ne reflète pas nécessairement l'opinion de l'Agence de Presse Sada.