Décret électoral et impasse palestinienne : entre nécessité de réforme et dangers de l'exclusion
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Décret électoral et impasse palestinienne : entre nécessité de réforme et dangers de l'exclusion

De manière quelque peu surprenante, le président palestinien Mahmoud Abbas a émis le 19 juillet un décret appelant à la tenue d'élections pour le Conseil national palestinien avant la fin de l'année, sans aucune mention des élections présidentielles ou législatives. L'étrangeté de ce décret réside dans le fait qu'il contredit ce qui était exprimé dans la lettre envoyée par le président le 9 juin dernier au président français Macron et au prince héritier saoudien Mohammed Ben Salmane. Cette lettre contenait des engagements relatifs aux salaires des prisonniers, transformant cette question en affaire sociale plutôt que militante, ainsi que sur les programmes éducatifs, l’arrêt des incitations présumées, le désarmement du mouvement Hamas et son retrait du pouvoir avec le soutien de forces arabes et étrangères. Il incluait aussi un engagement à organiser des élections présidentielles et législatives au cours de l’année, auxquelles ne participeraient que ceux acceptant le programme et les engagements de l'Organisation de libération de la Palestine, et croyant en une seule autorité et une seule arme.

À première vue, il peut sembler qu'il n'y a pas de différence entre l'appel à des élections pour le Conseil national et les élections présidentielles et législatives, mais la différence est essentielle en termes de priorités. La question se pose alors de savoir si la priorité est donnée à l'organisation, à l'autorité, ou à une approche qui combine harmonieusement organisation et autorité. La question de la unité étant également primordiale pour garantir une compétition dans un cadre cohérent, acceptée par toutes les autres parties, ou si les élections sont une porte d'entrée vers l'unité, où les élections deviennent avant tout un moyen d'exclusion des autres, plutôt que de les unir face à l'occupation et à ses projets. L'unité ne peut être réalisée que sur la base d'un programme national commun, pour une raison simple mais cruciale : la Palestine est sous occupation et traverse une phase de libération nationale qui exige un front national pour réaliser cette libération.

Le décret électoral a été émis par le président Abbas de manière unilatérale, sans aucune consultation nationale, ce qui affaiblit sa légitimité et lui fait perdre le soutien politique nécessaire.

Avant l'adoption de ce décret, il était implicitement entendu que les membres du Conseil législatif étaient des membres naturels du Conseil national, représentant la population sur le territoire avec une représentation parallèle pour les Palestiniens à l'étranger. La constitution du Conseil devait être complétée selon des critères garantissant la représentation des différents secteurs et factions, y compris celles qui ne dépassent pas le seuil électoral, en plus des personnalités nationales indépendantes. L'accord national exprimé par une décision du Conseil national lors de sa 23e session en 2018 prévoyait que le territoire soit représenté par 150 membres et l'étranger par 200 membres. Cependant, selon le décret actuel, deux tiers des membres du Conseil national, qui comptera 350 membres, proviendront du territoire, tandis qu'un tiers représentera l'étranger et la diaspora, malgré le fait que le peuple palestinien soit pratiquement divisé en deux entre le territoire et l'étranger, ce qui reflète un manque de sérieux et d'absence de justification.

Le premier scénario possible est que le décret soit perçu comme non sérieux et fasse partie des manœuvres politiques visant à gagner du temps et à distraire les Palestiniens ainsi que ceux intéressés par leur cause, tout en rappelant l'existence de l'organisation et la nécessité de l'inclure dans les arrangements post-guerre à Gaza, notamment après son marginalisation continue par des forces régionales et internationales. L'organisation s'est elle-même marginalisée en adoptant une politique de neutralité, d'attente et d'adaptation aux faits établis par l'occupation, dans un cadre de survie adopté avant et après le 7 octobre 2023. Ce scénario met également en lumière le manque de leadership palestinien et l'absence de volonté réelle pour faire face aux défis, notamment le refus israélien d'accepter tout rôle pour l'autorité ou l'organisation. Il reflète également le manque d'une opposition proposant une alternative cohérente basée sur de nouvelles visions et stratégies capables d’aboutir à la victoire. Cela signifie qu'il y a une intention de proclamer des élections, puis de prétexter des obstacles. Il n'y aurait donc pas d'intention réelle de les organiser, en prétextant par la suite des entraves, qu'elles soient israéliennes (en particulier à Jérusalem et dans la bande de Gaza dans le contexte de la guerre continue) ou internes (comme l'interdiction par le mouvement Hamas de les organiser ou son refus de participer, en prévoyant qu'il reste un acteur actif dans la bande à quelque égard). Cela entraînerait un nouveau report des élections.

L'unité ne peut être réalisée que sur la base d'un programme national commun, pour une raison simple mais cruciale : la Palestine est sous occupation.

Le deuxième scénario pourrait voir les obstacles être contournés par la formation du nouveau Conseil national par nomination, comme cela a été fait précédemment (avec la différence que l'organisation, auparavant en phase d'essor, bénéficiait d'une légitimité issue du programme national, de la résistance et de l'accord entre différentes forces), tout en intégrant des représentants des syndicats au prétexte qu'ils sont élus, comme "solution temporaire" jusqu'à ce que les conditions soient réunies pour organiser les élections. Bien que ce scénario soit possible, il est actuellement peu probable.

Le troisième scénario semble faible à court terme, mais son analyse est nécessaire à des fins scientifiques et objectives. Il est supposé que le décret pourrait contribuer à dynamiser la situation stagnante et ouvrir la voie à un consensus national englobant la formation d'un gouvernement de compétences, l'application des autres composants de la déclaration de Pékin (23/7/2024), ou d'une commission de soutien communautaire, à condition qu'il y ait une référence nationale représentée dans l'Organisation de libération de la Palestine, qui est représentée par le cadre dirigeant temporaire jusqu'à l'organisation des élections, une commission de soutien ou un gouvernement qui se chargerait de préparer un processus électoral libre et juste dans le cadre d'une réforme complète des institutions de l'organisation. Il serait évidemment préférable de former un gouvernement d'unité nationale, car cela lui donnerait plus de capacités et de légitimité.

Il y a également des raisons de s'opposer au décret. Tout d'abord, il a été émis de manière unilatérale sans aucune consultation nationale, ce qui affaiblit sa légitimité et lui fait perdre le soutien politique nécessaire pour être considéré comme un pas sérieux en avant, surtout que les différentes institutions au sein de l'autorité et de l'organisation (et le président) ont vu leur légitimité s'éroder en raison du non-organisations d'élections sur plusieurs cycles, sans qu'aucun succès ne soit réalisé, notamment l'échec des accords d'Oslo (1993) et l'option des négociations, et l'incapacité de la résistance à obtenir la libération ou à progresser sur cette voie. Deuxièmement, le décret ignore les priorités nationales urgentes, notamment l'arrêt du génocide et du déplacement, la reconstruction, la lutte contre les projets d'annexion et de liquidation, et la fourniture de conditions de résistance et de pérennité pour la cause et le peuple. Il néglige également la nécessité de former un leadership national unifié, et de formuler une stratégie palestinienne globale pour faire face aux défis et aux dangers existentiels et tirer parti des opportunités disponibles.

Il est incompréhensible comment des élections pourraient avoir lieu à Gaza en plein bombardement, destruction, massacres et blocus ainsi que famine et soif, ou en Cisjordanie sous la politique d'annexion rampante, de colonisation, de démembrement et d'arrestations, et les agressions des colons, et l’érosion des éléments de l’existence nationale à tel point que même l'autorité est en cours d'affaiblissement parce qu'elle incarne l'identité nationale et maintient ouverte la porte à l'établissement de l'État palestinien. Même dans l'hypothèse d'un accord de cessez-le-feu, il n'y a aucune garantie que cet accord conduise à un cessez-le-feu permanent ou à un retrait effectif israélien, car l'occupation continuera d'agresser et de maintenir le contrôle sécuritaire, en cherchant à reproduire le modèle de la Cisjordanie et du Liban après l'accord de cessez-le-feu.

Il s'agit d'une tentative israélienne de saper l'autorité palestinienne, car elle incarne l'identité nationale et maintient ouverte la porte à l'établissement de l'État palestinien.

Parmi les critiques majeures figure également le fait que le décret stipule que la participation des participants est conditionnée par un engagement envers le programme de l'Organisation de libération de la Palestine et ses obligations, et par rapport à la légitimité internationale, en violation flagrante du cœur même du processus démocratique qui repose sur la concurrence entre des forces et des programmes multiples dans un cadre national unifié. Il ne s'agit pas d'imposer un programme politique aux autres, car les programmes, alliances et politiques évoluent avec les circonstances. Ce qui est important, c'est de s'accorder sur une charte nationale unifiée et contraignante, qui serait constitutive jusqu'à l'élaboration d'une constitution pour l'État de Palestine se fondant sur l'unité de la terre, du peuple, de la cause et du récit, tirant sa légitimité de l'héritage national et des droits fondamentaux, et formulée dans un langage juridique, politique et humain global, en tenant compte du meilleur et du plus élevé réalisable sans compromettre la cause nationale et les droits fondamentaux. La reconsidération de la charte nationale actuelle est également nécessaire, qui a été vidée de son contenu en raison des tentatives de modification sans avoir complété le processus. Les solutions existent, il s'agit d'appliquer ce qui a été convenu précédemment par un consensus national d'adopter la loi fondamentale amendée, la déclaration d'indépendance, et le statut de l'organisation lors des élections, sans ajouts susceptibles d'empêcher la participation de factions essentielles aux élections.

En résumé, la référence aux élections du Conseil national, tout en ignorant les élections présidentielles et législatives, peut être interprétée comme indiquant que la priorité a été donnée à l'organisation et que l'intention est de privilégier l'État sur l'autorité. Cela, en soi, est positif, car l'autorité est soumise à des accords et des contraintes injustes et abusifs. L'État, par contre, est l'incarnation du droit à l'autodétermination, du droit international et des résolutions des Nations Unies, un droit non négociable, et les négociations visent à appliquer ce droit, et non pas à négocier sur ce dernier. Si le décret était présenté dans ce contexte, dans le cadre d'un examen complet visant à reconstruire l'organisation et à activer ses institutions sur des bases démocratiques, tout en l'ouvrant à toutes les forces et courants qui croient en un partenariat, loin de l'exclusion, du clivage et du monopole... Si le décret était présenté dans ce contexte, il serait le bienvenu. Toutefois, si cette démarche devient un moyen d'exclure ceux qui ne s'alignent pas sur le programme officiel qui a depuis longtemps atteint une impasse, ou de reproduire l'ancienne formule qui avait basé les nominations sur un système de quotas, cela ne fera qu'approfondir l'impasse palestinienne.

Cet article exprime l'opinion de son auteur et ne reflète pas nécessairement l'opinion de l'Agence de Presse Sada.