
Une culture meurtrie par des blessures : des jeunes grandissent avec des appels à la vengeance
Je suis arrivé à Kfar Qassem pour participer aux funérailles d'un des jeunes victimes d'un acte de tir. La chaleur enveloppait le lieu comme un été impitoyable. Je me suis approché de la place où des dizaines de jeunes s'étaient rassemblés : des amis de la victime, des parents, et des connaissances de la ville et d'ailleurs. Le noir enveloppait la scène, des vêtements similaires donnant l'impression d'uniforme, tandis que près des voitures garées apparaissaient des véhicules « Skoda » qui dominaient la scène, aux côtés de voitures luxueuses telles que « BMW » et « Mercedes ».
Certains jeunes se tenaient en cercle, d'autres étaient assis sur des chaises, tandis que certains s'éloignaient dans les coins du lieu, les yeux fixés sur le sol, engoncés dans un silence alourdi par leurs pensées. Sur leurs visages, une profonde tristesse se mêlait à une colère latente, mais la colère est restée contenue jusqu'à l'arrivée du corps.
Lorsque le corbillard est arrivé, transportant le corps du jeune homme, la scène s'est ouverte comme une tempête : les cris de la takbir et de la glorification se sont élevés, les pleurs se sont intensifiés, tandis que d'autres se sont contentés de pleurer en silence ou d'essuyer une larme qui avait glissé de force, certains hésitant à exprimer leurs larmes de peur qu'on les interprète comme un signe de faiblesse. En quelques instants, les funérailles se sont transformées en une épopée de chagrin et de menace, avec des appels à la vengeance et des menaces de représailles. Sur les tombes, après l'enterrement et la récitation de la prière et de la fatiha, le cheikh a déclaré publiquement qu'il n'y aurait pas de maison de deuil, un message indirect signifiant que la réponse à ce crime était inévitable.
À chaque funérailles comme celle-ci, je me retrouve à regarder dans les yeux des jeunes autour de moi, lisant en eux des questions suspendues sans réponses, et une douleur qui se cache derrière des apparences brillantes. Ils portent les dernières marques à la mode, conduisent des voitures luxueuses, parlent d'un ton assuré, mais au fond d'eux, un vide dévastateur, comme s'ils essayaient d'échapper à leur réalité à travers des apparences de puissance. Leurs visages, malgré leur jeunesse, sont épuisés, chargés d'un lourd héritage de sang, respirant un air saturé d'odeur de poudre à canon, et grandissent au son des balles qui sont devenues une partie de la vie quotidienne.
Je me demande : quel avenir peut-on construire sur les décombres de la peur ? Comment peut-on élever une génération qui ne sait que la mort est un voisin constant qui visite le quartier chaque mois, et que la vengeance est une prière plus importante que celle du succès ? Dans l'absence de justice et le silence délibéré des autorités, la culture du sang devient une légitimité silencieuse, et la vengeance une langue héritée par les enfants comme ils héritent de leurs noms.
Mais ces scènes ne peuvent être comprises uniquement sous un angle individuel ou émotionnel, elles reflètent une profonde crise sociale. Les jeunes qui grandissent dans un environnement où la sécurité est absente et où l'horizon est bloqué, apprennent que la violence est un moyen de subsistance, sans exception, et que la survie ne vient que par la force matérielle, qu'il s'agisse d'une arme, d'une voiture ou d'une démonstration ostentatoire. Les sociologues parlent de cela comme d'une "pression du réel verrouillé" : lorsque les jeunes sont privés d'éducation, de travail et d'opportunités, ils cherchent des alternatives qui leur confèrent un statut, et ils les trouvent dans l'honneur lié aux armes et à la force. Avec l'effondrement des institutions sociales - l'école, la famille, les cadres communautaires - un vide se remplit de violence et de criminalité.
Ce qui est encore plus alarmant, c'est que l'expérience quotidienne transforme le crime en une culture héritée. Un jeune qui voit son ami se faire tuer, qui participe à ses funérailles, et qui est témoin des appels à la vengeance, grandit convaincu que c'est la véritable loi de la vie, et que ce sont les normes sociales qu'il adopte puis intègre. Avec l'accumulation des traumatismes, du cri d'une mère à la larme d'un père, les blessures se transmettent de génération en génération, formant une mémoire collective immergée dans la violence et le sang, et ce que les sociologues appellent « culture meurtrie par des blessures » (wounded culture).
Et chaque fois que je quitte une funérailles, il me semble de plus en plus que la crise n'est pas superficielle, mais menace l'existence même de la société. Et que ce qui vient sera encore plus impitoyable si cet enchevêtrement n'est pas brisé, si ce cycle ne s'arrête pas. Faire face à cette réalité ne commence pas seulement par des patrouilles policières qui nous voient enfouis dans des cercueils comme une réussite, mais par la reconstruction de la confiance au sein de la communauté, la restauration des liens sociaux, des valeurs, et la construction d'un modèle alternatif, et l'octroi aux jeunes de vraies alternatives d'appartenance et de réussite.
Il y a quatre ans, j'étais à des funérailles à Jaffa, et quelques minutes avant de partir, le père de la victime, Nader Abu Shaqarah, s'est levé et a dit sur la tombe, avec des yeux enflés par les larmes, et d'une voix rauque : "Je ne veux pas venger mon fils, je veux juste qu'il soit le dernier à être enterré sous des balles de crime. Les cimetières sont fatigués de nos jeunes... et nous sommes fatigués d'enterrer, et je pardonne à celui qui l'a tué".
Ses paroles étaient plus dures que la balle elle-même, car elles révélaient la vérité nue : à moins que nous prenions les choses en main, la terre continuera à engloutir ses enfants, un par un, sans fin. Abu Shaqarah a épargné des vies et a coupé la chaîne de la vengeance, mais beaucoup d'autres ne suivent pas ce chemin, et la faute ne repose pas uniquement sur eux.

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