Notre vie entre le bruit de l'instant et les tendances accélérées
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Notre vie entre le bruit de l'instant et les tendances accélérées

La vie des Palestiniens est assaillie par des événements et des développements rapides ainsi que par de nombreuses nouvelles chaque heure, certaines attirant l’attention individuelle, d'autres occupant la conscience collective. Malgré cela, l'événement en Palestine ne dure plus que quelques heures, alors qu'autrefois il pouvait occuper l'opinion publique pendant de longs jours, marqués par des combats d'opinions et des analyses écrites. Aujourd'hui, même les nouvelles les plus importantes et dangereuses naissent sur les réseaux sociaux avec une intensité et un flot de colère et de division, puis s'évanouissent à une vitesse stupéfiante, remplacées par un nouvel événement ou par un silence collectif pesant qui ne signifie pas nécessairement satisfaction ou conviction.

Des nouvelles de guerre, de corruption, de chômage, d'agressions de colons, de pauvreté et des comportements des responsables, aux grandes décisions, aux nouvelles des martyrs, des passages, ou des centres commerciaux et autres. Tout cela passe par le même processus : un bruit rapide puis la dissipation.

Ce phénomène n'est pas anodin ni innocent, il reflète plutôt une transformation profonde de la structure de la conscience collective et du comportement du public palestinien dans l'espace numérique, une transformation que les sciences de la communication étudient comme un passage d'une culture de la cause à une culture de l'instant, et d'un débat public à un débat instantané.

Ce que nous observons aujourd'hui est un rétrécissement sévère du cycle de vie de l'information. L'événement n'est pas consommé pour sa profondeur ou son impact, mais pour la rapidité de sa diffusion et sa capacité à susciter des émotions. Dans les premières heures, tout le monde se rassemble, partisans, opposants, attaquants et défenseurs. L'intensité du discours s'élève, le clivage grandit, et il semble que toute la société soit sur le point d'exploser d'opinion. Puis soudainement, comme si de rien n'était, le public se retire en silence, sans résumés, sans résultats, sans véritable impact.

Ce retrait n’indique pas une maturité ou un dédain pour le débat, mais souligne une profonde fatigue. Le public palestinien vit sous une pression politique, économique et psychologique continue, ce qui a engendré un état de fatigue informationnelle et de désengagement défensif. Le citoyen réagit d'abord parce qu'il ressent le besoin de dire quelque chose, puis se retire car il comprend, ou ressent, que sa voix ne changera rien, choisissant le silence comme mécanisme de protection personnelle.

Pire encore, les plateformes de médias sociaux, principalement Facebook, ne favorisent pas un débat public durable, mais amplifient la polarisation rapide. Elles récompensent la colère, le sarcasme et l'extrêmisme, tout en négligeant la réflexion calme ou l’analyse approfondie. Ainsi, les questions cruciales deviennent un contenu consumable, et la politique se réduit à une scénographie numérique éphémère sans mémoire ni accumulation.

Aucune théorie des sciences de la communication n'a échappé à ce constat, et dans le cas palestinien, ces théories s'entrecroisent pour expliquer le comportement d'un public vivant sous la pression de l'événement constant et de la logique des tendances accélérées. Selon la théorie du cycle de vie de l'information, la durée de vie des questions se réduit à des pics fugaces qui s'éteignent rapidement sous le flot numérique, tandis que la théorie de la fatigue informationnelle révèle une épuisement cognitif et émotionnel qui pousse le public à une interaction initiale intense suivie d’un retrait et de silence. Dans ce contexte, l'espace public, tel que conçu par Habermas, s'érode, se transformant d'un espace rationnel de dialogue en un champ de polarisation régi par des algorithmes et des émotions, laissant la spirale du silence ensuite étouffer des voix dont les convictions n'ont pas changé autant que le coût du débat continu les a épuisées.

Avec le passage de l'interaction de la logique de l'influence à celle de la satisfaction instantanée, comme l'explique la théorie des usages et gratifications, la transformation du public final est celle d'un acteur civique en un spectateur numérique, où le bruit expressif remplace l'action collective, et où les questions ne deviennent que des tendances passagères dans un cycle de communication clos.

Nous ne vivons pas une situation de débat démocratique sain, mais un état de confrontation d'opinions instantanées. Chaque événement se transforme en un champ de bataille temporaire qui se termine par le retrait de tous, sans retour critique, sans responsabilité, sans construire une position publique mûre. Avec la répétition de ce cycle, le public perd confiance en l'utilité de l'expression et se transforme progressivement d'un acteur numérique en un spectateur permanent.

Le silence qui suit le bruit est plus dangereux que le bruit lui-même, car c'est un silence chargé d'impuissance, de désespoir et de perte d'espoir. Si ce silence perdure, il transformera l'espace public en un vide et laissera les questions nationales et sociales sans gardiens de la conscience.

Ce dont nous avons besoin aujourd'hui, ce n'est pas d'avantage de tendances, même si elles sont nouvelles chaque heure, mais de retrouver la culture de la cause. Pas plus de cris numériques, mais un discours médiatique qui redonne de l'importance à la profondeur, au contexte et à l'accumulation. Sinon, nous continuerons à tourner en rond : un événement brûlant, une polémique bruyante, un long silence, puis l'oubli, jusqu'à nouvel ordre.


 

Cet article exprime l'opinion de son auteur et ne reflète pas nécessairement l'opinion de l'Agence de Presse Sada.