20 000 shekels... Un plafond en espèces ou un test de confiance ?
Articles

20 000 shekels... Un plafond en espèces ou un test de confiance ?

*Conseiller économique international, et membre du Conseil de la transformation numérique international

Entre la discipline financière et le besoin de liquidités quotidiennes, l'économie palestinienne se trouve à un tournant nouveau dont le titre est le projet de loi "Réduction de l'utilisation des espèces". Cette loi qui fixe un plafond légal pour les transactions en espèces à vingt mille shekels, ouvre la porte à un large débat sur la préparation du marché, la confiance des citoyens dans le système financier, et l'avenir de la relation entre la monnaie physique et l'écran électronique.

L'Autorité monétaire palestinienne a récemment proposé un nouveau projet de loi intitulé "Réduction de l'utilisation des espèces en Palestine", visant à limiter les transactions en espèces directes et à organiser le commerce des liquidités sur le marché local. Le projet stipule clairement dans l'article (4) qu'il "est interdit d'effectuer des paiements en espèces pour des transactions dépassant en tous cas (20 000) vingt mille shekels ou l'équivalent d'autres devises circulant en Palestine." C'est une phrase qui résume la philosophie de la loi en une seule déclaration : contrôler les espèces grâce à un plafond défini qui ne peut être dépassé qu'avec des moyens de paiement électroniques ou bancaires.

La loi n'a pas encore été adoptée, et elle est toujours à l'étape de consultation publique, ce qui constitue une opportunité importante - et peut-être rare - d'ouvrir un débat national sur sa philosophie, ses mécanismes de mise en œuvre et ses conséquences économiques et sociales. La question ne concerne pas seulement le contrôle des espèces, mais aussi la relation entre le citoyen et le système financier, ainsi que celle entre l'économie formelle et l'économie informelle qui vit des liquidités quotidiennes.

Aujourd'hui, l'économie palestinienne vit une vraie contradiction : une abondance monétaire dans les banques et une pénurie dans les mains des gens. Des milliards de shekels s'accumulent dans les coffres des banques en raison des restrictions israéliennes sur les transferts monétaires, alors que les citoyens et les commerçants rencontrent des difficultés pour retirer ou échanger de l'argent. Ce déséquilibre a engendré une culture monétaire axée sur la détention de liquidités comme moyen de sécurité psychologique, non pas comme un outil d'échange économique. De là, il est impossible de lire le projet de loi en dehors de la crise de confiance générale dans le système financier. L'employé qui conserve son argent à la maison, le commerçant qui préfère le paiement direct, et le citoyen qui craint le transfert bancaire - tous reflètent plus un manque de confiance qu'un attachement à l'argent liquide lui-même.

Mais malgré ces problèmes, on ne peut ignorer la volonté réformatrice évidente dans la loi. Elle vise à renforcer la transparence, à lutter contre l'évasion fiscale, et à limiter le blanchiment d'argent, en plus d'introduire plus d'acteurs dans le cercle de l'inclusion financière. Cependant, les chiffres restent un indicateur préoccupant : selon les rapports de l'Autorité monétaire, les personnes détenant un compte bancaire en Palestine ne dépassent pas 50 % de la population adulte, tandis que seuls environ 30 % utilisent des services de paiement électronique. Pratiquement la moitié de la société reste donc en dehors du système financier officiel, ce qui rend toute législation limitant les espèces prématurée par rapport à la structure sociale et technique existante.

D'autre part, les secteurs liés à l'argent seront les plus touchés par l'application de la nouvelle loi. En plus de l'immobilier, de la construction, du commerce de l'or et des voitures, les stations-service et de gaz se distinguent également comme l'un des secteurs les plus touchés, en raison de leur dépendance quasi totale à la liquidité quotidienne et de leurs transactions directes avec le public pour des montants variés mais élevés. Ces secteurs représentent les artères de la circulation monétaire sur le marché, et toute restriction soudaine des transactions en espèces pourrait entraîner une confusion dans les opérations de recouvrement et de paiement, nécessitant des solutions transitoires plus flexibles avant l'obligation d'une application complète.

C'est pourquoi la meilleure manière de traiter le projet de loi n'est pas de le rejeter ou de se hâter de l'adopter, mais de procéder par étapes et d'adapter les mesures. Premièrement, il est nécessaire de préparer le terrain numérique et financier en élargissant la portée des portefeuilles électroniques, en réduisant les frais de transferts bancaires, et en simplifiant les procédures de paiement non en espèces. Deuxièmement, il faut renforcer la confiance entre le citoyen et la banque par une plus grande transparence et une protection légale renforcée pour les dépôts et les transactions, afin que le citoyen sente que le transfert électronique n'est pas moins sûr que l'argent qu'il tient dans sa main. Troisièmement, l’autorité monétaire doit envisager d’exempter les secteurs sensibles comme l’immobilier, la construction, l’or, les voitures et les combustibles du démarrage immédiat de l’application, car ils représentent la colonne vertébrale des transactions quotidiennes sur le marché palestinien.

Imposer un plafond monétaire sans préparer la structure financière pourrait conduire à des résultats contraires, le plus notable étant l'émergence d'un marché gris échangeant des espèces en dehors du système bancaire, ou le recours des gens à des devises alternatives comme le shekel de papier non enregistré ou même le dollar et le dinar. Ici, l'idée réformiste se transforme en un fardeau réglementaire qui complique la crise plutôt que de la résoudre. Les lois financières - comme les expériences internationales - ne se mesurent pas à leurs textes, mais à leur adéquation avec la réalité du marché et la culture des gens.

Le projet de loi sur la réduction de l'utilisation des espèces représente un pas dans la bonne direction vers la construction d'une économie plus transparente et disciplinée, mais au fond, c'est un test de notre préparation pour une véritable transformation financière. Les législations, aussi précises soient-elles, ne réussissent pas si elles ne reposent pas sur la confiance de la société, et ne s'ancrent pas si elles ne sont pas accompagnées d'outils d'application réalistes. Le contrôle des espèces n'est pas une fin en soi, mais un moyen de gérer une économie moderne fondée sur l'efficacité et la confiance. Par conséquent, la meilleure voie n'est pas de restreindre les espèces par des décisions supérieures, mais de convaincre le citoyen que le système financier moderne le sert et le protège.

L'expérience palestinienne recommande qu'un programme national élargi pour renforcer l'inclusion financière, élargir la portée des portefeuilles électroniques, réduire les coûts de transfert, et fournir des garanties légales pour les consommateurs accompagne toute application de la loi. Il serait également bon d'accorder aux secteurs sensibles - tels que l'immobilier, l'or, la construction, les stations-service et de gaz - une période de transition qui permettra une mise en œuvre graduelle plutôt qu'un choc direct. Avec cet équilibre entre discipline et confiance, entre réforme et gradualisme, le projet de loi peut se transformer d'un document réglementaire à un outil de changement dans notre comportement financier, et ouvrir la voie à une économie numérique palestinienne plus transparente et juste.

L'argent, en fin de compte, n'est pas un nombre sur un écran ou un papier imprimé, mais un miroir de la relation entre le citoyen et son État. Si cette relation n'est pas bâtie sur la confiance, alors tout plafond sur les espèces restera théorique - car l'économie réelle, comme l'homme, ne vit que dans l'équilibre entre la sécurité et la liberté.

Cet article exprime l'opinion de son auteur et ne reflète pas nécessairement l'opinion de l'Agence de Presse Sada.