Messages codés et secrets absolus : comment le Hamas paie les salaires de ses employés après presque deux ans de guerre ?

SadaNews - Un message sur le téléphone invite son titulaire à un "café", une rencontre parmi les décombres, et la remise d'un montant en espèces... C'est ainsi que le Hamas continue de payer les salaires de ses employés à Gaza, malgré deux ans de guerre, dans un processus "entouré de mort", selon l'un d'eux.

Et bien que le Hamas soit devenu plus faible, que ses capacités aient diminué et qu'il souffre d'un manque de liquidités, des témoignages d'un certain nombre de fonctionnaires gouvernementaux, tous ayant utilisé des noms d'emprunt, confirment qu'ils reçoivent encore des salaires, ou une partie de ceux-ci, de la part du mouvement.

Kareem (39 ans), un employé au ministère des Travaux publics du gouvernement du Hamas, raconte qu'il a reçu en juillet un message sur son téléphone portable disant : "Untel (sans préciser le nom)... t'invite à prendre un café" avec le temps et le lieu, près d'une école qui était devenue un abri pour les déplacés dans une région qu'il a également refusé de préciser.

Il déclare : "Je suis allé à l'endroit désigné. J'avais très peur d'un raid israélien. Là-bas, un employé que je connaissais m'attendait. Il m'a remis 1000 shekels (298 dollars)". C'est un versement d'un salaire mensuel qui était de 2900 shekels avant la guerre.

Il décrit le processus de remise du salaire comme étant "entouré de mort".

Des habitants de la bande de Gaza affirment au téléphone qu'ils craignent d'être à proximité de personnes associées au Hamas, ou travaillant avec lui, ou combattant dans ses rangs, car Israël est capable de surveiller la présence de beaucoup d'entre eux, et cible souvent ces personnes par des frappes aériennes ou des drones, ce qui cause la mort de personnes qui se trouvent à proximité.

Alia, une enseignante dans une école publique de Gaza, raconte que son dernier salaire a été reçu en juin.

Ce jour-là, elle a reçu un message texte sur son téléphone lui demandant de se rendre à une école pour déplacés, au nord de la bande.

La trentenaire, mariée et mère de cinq enfants, déclare : "L'école venait juste d'être bombardée par Israël, et l'employé chargé de remettre les salaires s'est enfui. Dieu merci, je suis arrivée en retard, j'ai échappé à la mort".

Elle est retournée dans la région le lendemain pour recevoir son salaire.

Avant la guerre, le Hamas s'appuyait pour préparer le budget de son gouvernement sur des revenus provenant de droits de douane et de taxes couvrant tous les secteurs de la vie : impôts sur le revenu, droits sur le commerce, services municipaux et transactions gouvernementales, etc.

Depuis 2021, le Qatar envoie des sommes mensuelles à Gaza, atteignant jusqu'à avant le déclenchement de la guerre le 7 octobre 2023, 360 millions de dollars par an, en vertu d'accords pour sécuriser les salaires des fonctionnaires et aider les pauvres dans le secteur.

Mais il est également connu que le Hamas s'appuyait sur un soutien financier d'instances non déclarées.

Un responsable palestinien bien informé à Gaza a mentionné que le Hamas obtenait des fonds par des méthodes compliquées et secrètes, y compris par le biais de tunnels clandestins, ou en mer.

"Stockage d'argent"

Le Hamas garde le silence sur ses sources de financement et la manière dont il les obtient. Un membre éminent du mouvement déclare qu'il s'agit d'une "question de sécurité nationale, faisant partie de la résistance".

Cependant, Jamil (43 ans), comptable dans une institution publique de Gaza, prétend que le Hamas a "stocké des centaines de millions de dollars, que ce soit dans des tunnels ou dans des lieux sûrs pour des moments difficiles comme la guerre", sans donner plus de détails.

Il souligne ensuite qu'Israël a "bombardé des banques appartenant au Hamas, ainsi que plusieurs endroits où se trouvaient des stocks d'argent, et a assassiné un certain nombre de responsables du système financier, mais cela n'a pas arrêté le mouvement".

Israël a détruit toutes les institutions du mouvement dans la bande. De même, il a anéanti les agences de deux banques établies après la prise de contrôle du Hamas en 2007, que l'Autorité monétaire palestinienne ne reconnaît pas, à savoir la "Banque de la production" et la "Banque nationale islamique".

En février 2024, l'armée israélienne a publié des vidéos montrant des images de boîtes et de sacs contenant d'importantes sommes d'argent en shekels, dollars et dinars jordaniens, prétendant les avoir trouvées dans un tunnel.

L'armée israélienne a mené des frappes ciblant des responsables qu'elle accuse de gérer l'argent du Hamas, dont l'un est responsable Ismail Barhom, dont l'armée a annoncé la mort en mars.

Des témoignages recueillis par l'agence "France Presse" indiquent qu'Israël a ciblé des dizaines de fois des points de remise des salaires dans le secteur dévasté, causant la mort de certains d'entre eux.

Certaines grandes employés reçoivent leur salaire secrètement à leur domicile dans des camps de déplacés ou dans des écoles d'accueil, "pour ne pas être la cible des frappes israéliennes", selon une source au Hamas.

Jamil précise que le processus de paiement des salaires est "très complexe, et que le plan de paiement change constamment selon la situation sécuritaire", en soulignant que le gouvernement "s'efforce de payer une partie des salaires chaque fois que des fonds sont disponibles".

Selon un responsable du Hamas à Doha, le mouvement "ne ménage aucun effort pour assurer les salaires", ajoutant que "la prétention de l'occupation (...) qu'elle a anéanti le Hamas est infondée".

Le nombre de fonctionnaires gouvernementaux dans la bande de Gaza est de quarante mille. On ne sait pas si tous perçoivent leurs salaires régulièrement.

Certaines personnes se plaignent que ceux "associés" au Hamas reçoivent de l'argent et des aides, tandis que d'autres non, sachant qu'un petit nombre de fonctionnaires dans les secteurs de la santé et de la police continuent de travailler, tandis que les autres sont arrêtés en raison de la guerre.

"J'ai dit au revoir à ma femme et à mes enfants et je suis allé chercher mon salaire" !

Certaines personnes qui continuent à recevoir des salaires ou une partie de leurs salaires déclarent que cela ne suffit pas dans le contexte des conditions désastreuses dans le secteur, où les prix des denrées alimentaires ont considérablement augmenté, et où il y a un manque de toutes les produits de base.

Kareem, qui soutient sa femme et ses six enfants, dit : "Je me sens frustré, le salaire ne suffit même pas pour acheter de la farine pour une semaine, famine et prix exorbitants sur le marché".

Massoud déclare avoir récemment reçu un message texte sur le téléphone de sa femme l'invitant à boire du thé, sa femme a été étonnée par le message, mais il a ri et lui a dit : "C'est une bonne nouvelle, le salaire est arrivé".

Massoud, qui travaille comme agent de police, explique que le salaire "ne nourrit ni ne comble les besoins, nous parvenons à peine à économiser un peu de farine, nous recevons une partie de celui-ci tous les deux ou trois mois".

Tout en affirmant "nous sommes avec la résistance", il estime qu"il aurait été préférable que (le Hamas) se prépare à ces moments difficiles. Comment demander aux gens de tenir le coup sans nourriture ni eau ?".

Il ajoute : "Je ne veux ni salaire ni emploi, je veux que la guerre s'arrête et vivre une vie humaine".

Abdallah (38 ans), professeur dans le nord de la bande, dit : "J'ai dit au revoir à ma femme et à mes enfants, et je ne leur ai pas dit que j'allais chercher mon salaire".

Il ajoute qu'il soutient sa mère et plus de vingt personnes qui sont les épouses et les enfants de ses trois frères, qui ont été tués près des centres de distribution d'aide.

Abdallah a reçu son dernier salaire (950 shekels, soit 280 dollars) en juillet. Il dit que la méthode de paiement est "épuisante, comme si vous travailliez pour une mafia".