La justice transitionnelle est-elle incompatible avec la paix civile en Syrie ?
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La justice transitionnelle est-elle incompatible avec la paix civile en Syrie ?

SadaNews - La relation entre la justice transitionnelle et la paix civile représente l'un des défis les plus complexes de l'après-conflit, notamment dans les contextes où les exigences de responsabilité se croisent avec les nécessités de stabilité et de reconstruction sociale ; dans le cas syrien, après plus de 14 ans de conflit caractérisé par des violations systématiques et une fragmentation sociale, ce croisement revêt une importance particulière.

La justice transitionnelle est un ensemble de processus et de mécanismes par lesquels les sociétés traitent l'héritage des violations à grande échelle, tandis que la paix civile est comprise comme un état d'harmonie et de coopération qui va au-delà d'une simple absence de violence. Ce cadre dual met en évidence des intégrations profondes et des tensions inhérentes.

Cet article vise à analyser comment ces deux systèmes conceptuels se croisent et se rejoignent, et parfois s'éloignent, dans le paysage transitionnel syrien, en explorant les bases théoriques qui régissent leur interaction, tout en reconnaissant les défis qui apparaissent lorsque les nécessités de la justice rencontrent les nécessités de la construction de la paix.

Domaines de convergence et d'intégration temporelle

La construction conceptuelle de la justice transitionnelle implique des mécanismes multiples et interconnectés pour traiter collectivement les violations du passé et ancrer les bases de la coexistence future ; ces mécanismes comprennent : les poursuites pénales en tant qu'outil traditionnel de responsabilité, les commissions d'enquête qui établissent des récits communs sur les violations historiques, les programmes de réparations qui reconnaissent la souffrance des victimes, et les réformes institutionnelles qui transforment les structures qui ont permis des violations systématiques.

Chaque mécanisme agit dans des cadres temporels et procéduraux distincts, mais se combine dans une approche globale de transformation sociale. Le Réseau Syrien des Droits de l'Homme a formulé en avril dernier une vision globale pour le processus de justice transitionnelle en Syrie à travers des feuilles de route détaillées qui soulignent l'interconnexion entre ces mécanismes.

En revanche, le concept de paix civile dépasse la simple cessation des hostilités pour adopter une approche multidimensionnelle qui opère à des niveaux individuels, communautaires et nationaux.

Au niveau individuel, la paix civile se manifeste par des parcours de rétablissement psychologique et de réinsertion ; au niveau communautaire, elle se manifeste dans la reconstruction de la confiance et la réparation du tissu social déchiré ; et au niveau national, elle nécessite la réétablissement du contrat social entre les citoyens et les institutions de l'État.

Cette vision élargie met l'accent sur une stabilité à long terme qui rend la violence inconcevable, non simplement réprimée.

La convergence entre les deux cadres se manifeste à travers de multiples croisements théoriques ; les deux approches visent à passer des situations de violence à une coexistence durable, et partagent des objectifs de prévention de la violence, de promotion de la réconciliation et d'établissement de la paix.

L'intégration temporelle se présente comme un facteur crucial : alors que la justice transitionnelle traite les injustices historiques, les mécanismes de paix civile se concentrent sur la construction des relations futures, et cette synergie temporelle permet aux sociétés d'aborder les violations passées tout en développant les capacités nécessaires à la gestion pacifique des conflits.

Les synergies institutionnelles et procédurales amplifient cette convergence en mettant l'accent commun sur la participation de la société civile, la propriété locale et des processus inclusifs ; des recherches indiquent sept fonctions principales de la société civile qui s'entrelacent profondément avec les objectifs de la justice transitionnelle : protection, surveillance, plaidoyer, socialisation, cohésion sociale, facilitation et prestation de services.

Ces interconnexions fonctionnelles créent des points d'intégration naturels où les initiatives de paix civile et les mécanismes de justice transitionnelle se renforcent mutuellement.

De plus, les deux cadres reconnaissent que la transformation structurelle est une condition pour une paix durable ; les initiatives de paix civile se concentrent sur la prévention de la violence à travers le développement de capacités à long terme et une transformation sociale progressive, tandis que les mécanismes de justice transitionnelle, en particulier la réforme institutionnelle, visent à changer les conditions qui ont permis les violations du passé.

Cette concentration commune sur le traitement des causes profondes plutôt que sur un traitement superficiel des symptômes conduit à une accord essentiel entre les deux approches, rendant leur intégration non seulement une nécessité pratique, mais aussi une cohérence théorique.

Démanteler le faux binôme "paix contre justice"

Malgré les points de convergence entre la justice transitionnelle et la paix civile, la relation entre les deux révèle des tensions théoriques et pratiques qui nécessitent une étude attentive ; les manifestations les plus marquées se manifestent dans ce que les chercheurs appellent "le dilemme paix contre justice", où les demandes de responsabilité et de poursuites judiciaires peuvent sembler contradictoires avec les exigences urgentes de la stabilité.

Cette tension crée des défis dans la prise de décision publique, car les autorités doivent équilibrer les nécessités de paix immédiates avec les exigences de justice, ce qui conduit souvent à des contradictions présumées entre les deux objectifs.

Les complexités temporelles et procédurales augmentent l'intensité de cette tension ; les mécanismes de justice transitionnelle, en particulier les poursuites pénales, nécessitent généralement de longs délais pour les enquêtes et les décisions, tandis que les initiatives de paix civile privilégient des procédures qui produisent une stabilité immédiate.

Ces différences temporelles peuvent aboutir à des contradictions procédurales concrètes : des interventions rapides pour stabiliser la situation peuvent compromettre les dynamiques de justice systématique, tandis que des parcours judiciaires prolongés peuvent être perçus comme perturbant des arrangements de paix fragiles.

Cependant, la littérature contemporaine remet en question cette perspective dichotomique et la considère comme une fausse dichotomie ; elle suppose que l'ignorance des crimes de masse, la non-prise en compte des causes profondes du conflit, et l'oubli des demandes de justice des victimes maintiennent le risque de résurgence de la violence élevé. Par conséquent, la paix et la justice sont comprises comme des objectifs complémentaires et non opposés, chacun renforçant la durabilité de l'autre et solidifiant ses résultats.

La société civile se présente comme un acteur important dans la médiation entre ces deux cadres ; ses organisations remplissent des rôles multiples, y compris la protection des populations, la surveillance des violations et la facilitation du dialogue à différents niveaux.

Ces fonctions intermédiaires contribuent à combler les lacunes entre les mécanismes de justice formels et les initiatives de paix communautaires, créant des espaces où il est possible d'atteindre les deux objectifs sans compromettre l'un ou l'autre.

Le contexte national et la sensibilité culturelle deviennent des facteurs prédominants de succès ; les deux cadres insistent sur la propriété locale et l'adaptation aux particularités sociales, tout en maintenant des références universelles pour la paix et la justice.

Cette concentration commune sur "l'ancrage local" fournit une base structurante pour l'intégration, assurant que les solutions sont adaptées aux environnements spécifiques tout en préservant les principes généraux.

Le contexte syrien met particulièrement en évidence les défis de cette intégration ; la fragmentation institutionnelle, manifestée par le nombre élevé de comités concernés par des aspects disparates des dossiers sans cadres de coordination clairs, engendre des risques de chevauchement des compétences et de duplication des efforts.

De plus, le chevauchement des initiatives de paix civile avec les champs judiciaires, comme cela a été observé dans certaines pratiques de la Commission de paix civile dans la région côtière de la Syrie, montre comment une mauvaise compréhension de la nature intégrative de ces deux cadres peut saper les objectifs de justice et de paix.

Lorsque les comités de paix civile dépassent leurs fonctions facilitrices pour exercer des pouvoirs d'ordre judiciaire sans mandat légal, ils portent atteinte au principe de séparation des pouvoirs et affaiblissent la confiance communautaire nécessaire pour la responsabilité et la réconciliation.

Conclusion : l'intégration comme nécessité de reconstruction

L'examen théorique de la paix civile et de la justice transitionnelle révèle que ces deux concepts, au lieu de constituer des modèles concurrents, incarnent des dimensions intégrées de la récupération post-conflit nécessitant une coordination précise pour réaliser une transformation durable.

Le cas syrien démontre que la recherche de paix civile sans répondre aux exigences de justice, ou la poussée vers la responsabilité sans tenir compte des implications pour la stabilité, risque de compromettre les deux objectifs.

Les domaines de convergence identifiés ; (objectifs de transformation communs, intégration temporelle, synergie institutionnelle, et concentration structurelle), fournissent une base théorique pour des approches intégratives qui reconnaissent que justice et paix sont des renforts mutuels et non des antagonistes.

Les tensions émergentes entre ces deux cadres, en particulier le "dilemme paix contre justice" envisagé, reflètent moins une contradiction qu'elles ne traduisent des défis d'exécution qui nécessitent des approches avancées tenant compte des préoccupations légitimes des deux voies.

Dépasser les fausses dichotomies requiert la reconnaissance qu'une paix durable ne peut être fondée sur des injustices non résolues, tout comme une véritable justice ne peut être réalisée dans des contextes d'instabilité chronique.

Dans ce contexte, la société civile joue un rôle de médiateur crucial, tout en soulignant la propriété locale et l'adaptation culturelle, permettant des voies pratiques pour traiter constructivement ces tensions.

Pour que le processus transitionnel en Syrie soit couronné de succès, les visions théoriques doivent inspirer des approches pratiques qui préservent des frontières institutionnelles claires tout en garantissant la coordination, et respectent l'indépendance judiciaire tout en facilitant le dialogue communautaire, et traitent les violations du passé en parallèle avec le développement de la capacité à coexister à l'avenir.

Par conséquent, l'intégration de la paix civile et de la justice transitionnelle est une nécessité pratique pour des sociétés cherchant à transformer l'héritage de la violence en fondations pour une paix durable.

Cette intégration nécessite une compréhension approfondie des contributions et des limites de chacun des cadres, ainsi que de leur interconnexion, tout en reconnaissant qu'aucun d'eux ne suffit à lui seul à relever la tâche complexe de la reconstruction de la société syrienne après le conflit.